Que ce soit dans un souci d’optimisation de certaines de leurs politiques (communication extérieure, ressources humaines, marketing, environnement…) ou dans le cadre de démarches plus globales et formelles de Responsabilité Sociale d’Entreprise ou de Développement Durable, les entreprises font aujourd’hui de la prise en compte croissante des attentes de leurs parties prenantes (stakeholders) un axe stratégique majeur.
Cette préoccupation fait écho aux besoins de régulation exprimés par la société civile, notamment face aux impacts de l’activité des entreprises en matière de dégradation de l’environnement naturel ou de non-respect de droits fondamentaux de l’homme au travail.
Les décideurs sont désormais conscients qu’ils sont comptables de leurs décisions devant un nombre élargi de parties prenantes qui exigent de plus en plus de transparence et disposent de pouvoirs accrus pour l’obtenir. Nul doute aujourd’hui que via la diffusion des NTIC, l’opinion publique, faite indifféremment de consommateurs, de citoyens, de salariés, bref de toutes les catégories d’acteurs impliqués à divers titres dans la vie économique, soit désormais capable de se mobiliser en un temps record, à l’échelle planétaire et sans coût démesuré, et de sanctionner sévèrement, notamment sur le plan de l’image les sociétés qui seraient prises en défaut de transparence. Par ailleurs, l’importance accrue des normes et des contrôles sur la production et les échanges, les pratiques de certification, imposent également à l’entreprise des contraintes en matière d’information de ses partenaires, clients, collaborateurs et tutelles diverses.
Les réflexions autour des modalités de prise en compte des parties prenantes (« stakeholders » où stake signifie à la fois intérêt et enjeu) dans le cadre de la responsabilité sociale des entreprises, les perspectives ouvertes par le développement durable, autant de thèmes actuels et complémentaires qui se rejoignent en définitive autour du même constat : l’entreprise ne peut plus produire ni échanger sans se préoccuper de la manière dont elle le fait, ni des conséquences que peuvent avoir ses activités sur les populations et l’environnement.
En ignorant – ou minorant à dessein - certains impacts sociétaux ou environnementaux, une entreprise risque une crise médiatique brutale, qui peut l’affaiblir au cœur de ce qui fonde sa puissance : la réputation et la confiance attachées à son nom et à ses marques. Le développement de l’épargne solidaire, du commerce équitable, et des labels sociaux et éthiques participent également de l’émergence d’une société de parties prenantes, véritables aiguillons pour les entreprises. Dans un environnement global où il faut désormais compter avec la pression des ONG, le relais des médias et la mobilisation de l’opinion publique, les dirigeants n’ont d’autres choix que d’adopter un management transparent et proactif auprès de tous leurs interlocuteurs.
Le maître mot est désormais celui de « l’accountability » qui signifie littéralement « rendre des comptes », ou plus extensivement « être responsable et être transparent ».
L’actualité récente, dans la foulée de certains scandales financiers retentissants, a plutôt eu tendance à mettre en avant un acteur unique et dominant : l’actionnaire.
Ce fut bien sûr le cas aux Etats-Unis, avec notamment la loi Sarbanes-Oxley de 2002 qui a à la fois fortement modifié les conditions d’exercice du gouvernement d’entreprise et réformé les modalités de fonctionnement de nombreux intervenants sur le marché financier (la France allait embrayer dans le même esprit en 2003 avec la loi de Sécurité Financière).
Si la question des relations des entreprises avec leurs parties prenantes a connu une forte actualité d’un point de vue comptable et financier, elle a également été ces dernières années au cœur de nombreuses autres controverses : problèmes de santé publique (sang contaminé, maladie de la vache folle, OGM, médicaments retirés en catastrophe du marché alors que des doutes existaient depuis longtemps, pour ne citer que quelques exemples), pollutions accidentelles par les hydrocarbures, conditions de travail d’un autre âge dans certaines filiales de multinationales…
Cette absence ou insuffisance de transparence a décuplé les peurs, cristallisé les oppositions idéologiques, et considérablement écorné le capital-confiance d’entreprises, de filières ou d’institutions.
De cette multiplication de scandales ou « d’affaires », il a résulté une intervention croissante des pouvoirs publics pour accroître les obligations des organisations en matière d’information sur leurs obligations sociétales et environnementales. Si la réglementation apparaît moins stricte et contraignante que dans le domaine financier, elle n’en est pas moins en fort développement (voir la loi sur les nouvelles régulations économiques incitant les sociétés cotées à rendre compte de quelle manière elles prennent en considération les conséquences sociales et environnementales de leur activité). Les objectifs du législateur sont, sur tous ces domaines, parfaitement identiques aux préoccupations qu’il manifeste concernant la seule sphère financière : crédibiliser, rassurer, responsabiliser.
Notons enfin deux dernières tendances en forte progression autour de la RSE : la montée en puissance des agences de notation sociale et sociétale qui, à l’instar de leurs homologues opérant dans la sphère financière, vont exiger des entreprises des démarches de plus en plus formalisées ; le développement des normes et certifications sociales (SA 8000…) et environnementales (ISO 14000…).
Une relation plus suivie et plus fine des entreprises avec leurs parties prenantes est donc désormais indispensable.
Il ne s’agit pas seulement de respecter passivement un arsenal légal et réglementaire de plus en plus contraignant, en droite ligne de ces deux véritables phénomènes de société que sont la quête de la transparence et le principe de précaution (avec, en arrière plan, une judiciarisation croissante de la société).
Il importe également pour l’entreprise de consolider son capital confiance auprès de ses différents interlocuteurs, c’est à dire de renforcer ce qui constitue probablement son principal atout concurrentiel. C’est un mode (pas une mode) de gestion qui va incontestablement dans le sens des performances de l’entreprise. Il ne va pas s’agir seulement de se montrer sous son meilleur jour, mais de nouer des contacts, de dialoguer, voire de mener régulièrement des négociations avec ces tiers.
Le comportement des entreprises va de manière générale s’inscrire dans la recherche d’une légitimité qui va les conduire à négocier des coopérations, où du moins des relations équilibrées, pour qu’un droit d’exploitation leur soit reconnu, en contrepartie du respect de l’environnement naturel et social, voire d’une création de valeur pour différents acteurs de la société civile.
L’entreprise est donc insérée dans un réseau de relations étendu et complexe avec des parties prenantes que l’on peut définir comme « tout groupe ou individu qui peut influencer ou être influencé par la réalisation des objectifs de l’entreprise » (FREEMAN, 1984).
Ce réseau est étendu car un grand nombre de parties prenantes sont concernées. Il est par ailleurs complexe dans la mesure où existent ou peuvent s’établir des relations entre les parties prenantes. De cette dimension relationnelle entre les parties prenantes, souvent insuffisamment prise en compte, transparaît une menace pour le dirigeant, à savoir les possibles coalitions que celles-ci peuvent former entre elles.
Afin de cerner les attentes de ces divers groupes et individus, et d’y répondre en orientant leurs politiques et plans d’actions en conséquence, les entreprises doivent être en mesure de les repérer et les hiérarchiser.
Ce contexte général fait de ce travail en amont un outil fondamental dans l’établissement des priorités du dirigeant. On peut même affirmer qu’il est au cœur du management stratégique des entreprises. Si la conception classique de la gouvernance d’entreprise limitait généralement son champs d’étude à une relation unique entre propriétaires et managers, il importe désormais de considérer celle-ci dans la perspective de la gestion de toutes les dynamiques relationnelles existantes ou potentielles avec ses parties prenantes.
Sur la base de quelle méthodologie l’entreprise va-t-elle donc opérer l’identification et la classification de tous les acteurs et partenaires économiques et sociaux, internes ou externes, concernés par son activité et sa performance ? Faites nous part de vos expériences et de vos questions… Nous y répondrons rapidement.
Et encore nous n’avons pas abordé la question des parties « qui ne prennent pas ». Celles qui sont muettes (faune, flore…) ou potentielles (les générations futures, les victimes potentielles…).
Les intérêts des parties prenantes (les stakeholders désignant les porteurs d’enjeux ou d’intérêts selon la traduction) entrent soit en convergence, ils sont alors coopératifs ; soit en opposition, ils sont alors concurrents.
Je sens poindre derrière votre commentaire deux questions : 1. les actionnaires sont-ils prééminents ? 2. leurs intérêts souvent très « court-termistes » n’entrent-ils pas en contradiction sur le long terme avec les intérêts de la communauté voire de la firme elle-même ?
Aujourd’hui il est clair que les acteurs surpondèrent les actionnaires et que les exigences de ceux sont démesurées par rapport à des logiques ne serait-ce que purement économique. Une entreprise même mondiale peut-elle servir des bénéfices aussi élevés que la norme actuelle le suppose alors que ses marges sont rognées ? En effet, la plupart de ses marchés croissent faiblement et leurs marques sont challengées par des MDD, des hard-discounter et des low-cost.
Rédigé par : | 23/11/2005 à 22:50
Les parties prenantes, c’est bien d’en parler, mais avant tout il y a les actionnaires… Ce discours peut être tenu par un patron comme par n’importe quel salarié qui constate tous les jours cette priorité...
Rédigé par : Jean-Pierre | 15/11/2005 à 14:27
Je prends vos questions dans l’ordre inverse. Car si ce sujet est un effet de mode, pour la majorité des entreprises, il suffit d’attendre tranquillement que la vague passe. En effet, si vous n’êtes pas côté, avec une marque de grande consommation fortement visible ou ayant une activité potentiellement dangereuse pour l’environnement ou la santé publique (je vous l’accorde, cela représente quand même beaucoup d’entreprises)… à quoi bon ?
Ces questions relatives à l’éthique des entreprises, à la Responsabilité Sociale et sociétales sont apparues dans les années 60. (voir les travaux d’Ansoff aux Etats-Unis ou de Martinet, plus tardivement, en France). Dans les années 80 ces concepts ressurgissent sur fond de préoccupations en matière d’éthiques des affaires. Le plus souvent les discours sont alors moralisateurs. On peut même y voir la résurgence d’une certaine forme de puritanisme Nord-Américain. La question de la RSE et des Parties Prenantes revient de nouveau sur le devant de la scène, intégrée dans la caravane conceptuelle du développement durable. Cette fois, vous noterez qu’elle est fortement soutenue par les ONG, les organismes internationaux (ONU, Commission Européenne, …) et qu’elle fait son entrée dans les lois nationales. Ces concepts qui ont une histoire désormais assez longue, certes entachées de vicissitudes de jeunesse font donc, semble-t-il, partie d’une lourde tendance de fond.
S’agissant de la « priorisation » des parties prenantes, il s’agit d’une question simple théoriquement et plus confuse en pratique. On peut dire qu’il existe deux types de parties prenantes : les parties prenantes directes et les parties prenantes dérivées. Vous trouverez toutes sortes d’appellation et de critères de choix (primaires ou secondaires ; contractuelles ou diffuses ; nécessaires ou contingentes ;… ) mais ce qui compte fondamentalement c’est de savoir si la relation que vous entretenez (ou non) avec une partie prenante revêt un aspect critique.
Pour cela, vous devez immanquablement identifier leurs attentes. Vous devez également vérifier si un même partie prenante est homogène ou peut se subdiviser et si leurs attentes se recouvrent même partiellement.
Dans un second temps, vient la qualification des parties prenantes que nous vous suggérons de réaliser par les attentes. Comme critères, vous pouvez reprendre celle du modèle de Mitchell, Agle et Wood : le pouvoir d’influence, la légitimité et la sensibilité au délai (l’urgence des droits dans le modèle).
Pourtant, ce qui a de la valeur, au delà de l’outil de gestion que constitue un tableau de bord des parties prenantes, c’est le débat que ce travail engage au sein de l’entreprise. C’est aussi qu’il rend irréversible le rapprochement avec certaines d’entre elles. Nous vous recommandons donc de ne pas vous engager dans un dispositif démesurément complexe par rapport à l’objectif poursuivi. Une matrice qui multiplie des critères à coefficient sera lourde à gérer et fera perdre de vue la finalité. Elle ne vous aidera pas non plus à entrer en relation ou à apporter des réponses aux attentes des parties prenantes. Ce qui comptera beaucoup, par contre, ce sont les gens que vous aurez invités autour de la table pour faire cette classification. Ceux là peuvent vous aider à apporter des réponses…
L’équipe Kyos
Rédigé par : l'équipe Kyos | 14/11/2005 à 18:13
Bonjour,
Votre article a le mérite de bien poser les débats sur cette question. Les enjeux sont clairs, les questions évidentes. Puisque vous sollicitez des réactions, je me permets de vous interroger sur quelques points :
- En tant que Directeur Général du entreprise industrielle, je vois les parties prenantes potentielles se multiplier or vous n’expliquez pas comment on peut les « qualifier ». Comment puis-je attribuer mes priorités.
- Est-ce que ce type de travail est un effet de mode ou tendance de fond ?
Rédigé par : michel | 10/11/2005 à 17:37
merci pour votre commentaire, je vous promets une réponse détaillée dans quelques jours avec des exemples. Je ne vais maintenant développer que quelques éléments de réponse et un exemple.
Je ne suis pas le tenant d’une démarche structurée, structurante et systématique. RSE et Développement Durable ne remettent pas en cause le management déjà existant. Ils le complètent et l'orientent. Ce ne sont pas non plus des approches normatives de type qualité. Il n’y a pas une bonne façon de faire par excellence.
Chez Kyos, nous pensons que c’est en réglant les problèmes concrets de l’entreprise qu’on avance. En mettant en oeuvre des solutions, demandez vous comment vous pouvez en profiter pour mieux travailler avec vos parties prenantes.
Simplement un premier exemple… La SNCF est soumise à la loi sur l’accès des PMR (Personnes à Mobilité Réduite) aux transports qui donne un objectif (exhaustivité) et une deadline (dans 10 ans, au moment de la publication). La SNCF ne s’est pas contentée de se demander comment elle pouvait informer les associations d’usager les plus concernées. Elle a proposé à 13 associations représentatives de différentes formes de handicaps de travailler concrètement sur les réponses à apporter. Cela dénote d’une évolution de l’état d’esprit des entreprises.
Rédigé par : allen (Kyos) | 10/11/2005 à 15:56
Vaste question pratique que vous soulevez là ! Nous avons identifié nos parties prenantes mais la mise en relation avec elles est loin d’être simple…
Rédigé par : Jean-Bernard | 10/11/2005 à 11:07