Le commerce équitable concerne une vaste liste de produits de consommation courante : le café, évidemment, mais aussi le chocolat, la banane, le sucre, le riz, le thé, etc. Si la démarche d’achat de ce type de produit reste encore marginale et parfois le fruit du hasard, nous pensons qu’il s’agit d’une illustration intéressante des effets du courant du « développement durable » et de l’altermondialisme (qui s’oppose au consensus de Washington et donc aux grandes multinationales).
Cette article vise à présenter en détail ce que recouvre le commerce équitable et comment des entreprises peuvent l’utiliser comme levier, à la fois, de leur efficacité commerciale et de leur engagement « durable » et socialement responsable.
Un commerce équitable, fruit du développement patient d’un courant fondateur du développement durable
On définit traditionnellement le commerce équitable comme étant l’opportunité d’apporter des revenus décents à des producteurs du sud. La réalité est encore un peu plus riche d’attentes mondialement responsables ; c’est pourquoi nous allons la détailler. L’association Max Havelaar (http://www.maxhavelaarfrance.org/) précise que le commerce équitable répond à plusieurs exigences :
· Refuser l’esclavage, le travail forcé et l’exploitation des enfants
· Travailler avec les producteurs marginalisés des pays du Sud
· Garantir un prix d’achat minimum satisfaisant les besoins élémentaires (santé, protection sociale, formation, etc.)
· Entretenir des relations durables pour permettre une dynamique de développement
· Favoriser des productions respectant l’environnement
· Assurer une transparence de fonctionnement et une traçabilité exemplaire par des contrôles permanents.
Il convient de le distinguer du « commerce éthique », dont Aggeri précise qu’il s’agit « d’amener progressivement tous les fournisseurs de la grande distribution à respecter un certain nombre de critères et de standards, en s’appuyant, sur des démarches qualités. »
Le commerce équitable est le fruit d’un lent et patient développement qui puise ses origines dans des courants de pensées hétéroclites. Selon certains auteurs, comme Leconte et Aggeri (bibliographie à la fin de l’article), le commerce équitable serait né dans les années d’après guerre par le fait d’associations religieuses ou humanistes, notamment d’obédience protestante ou calviniste. Les Etats-Unis, l’Allemagne, la Hollande la Suisse
Il est ensuite relayé, dans les années 60 et 70, par des mouvements militants et souvent tiers-mondistes, qui dénoncent les méfaits du capitalisme ou l’assimilent à une nouvelle forme d’impérialisme. Ces courants cherchent donc à protéger les pays en voie de développement de l’imperium des grandes entreprises occidentales. Ils préfigurent, d’une certaine manière, l’altermondialisme. La France
C’est finalement à la fin des années 80 que le commerce équitable, tel que nous le connaissons aujourd’hui, prend son essor. Max Havelaar crée son label en 1988 en Hollande. En France, l’association Max Havelaar France voit le jour en 1992. Elle est rejointe, en 1998, par un autre acteur médiatisé : Alter Eco. Ces organismes ou entreprises ont pour vocation d’organiser une filière commerce équitable intégrée à la distribution classique.
Du militantisme médiatique et en opposition, le commerce équitable entre dans une phase d’intégration avec deux dimensions nouvelles :
· Les associations ou entreprises acceptent de travailler avec des groupes internationaux. Max Havelaar Suisse travaille avec Mac Donald’s et le café labellisé Max Havelaar est proposé aux salariés de groupe comme Air France, France Télécom, SNECMA, BNP Paribas… Alter Eco a créé une activité de conseil en collaboration avec PriceWaterhouseCoopers.
· La pédagogie et les actions de sensibilisation au nord comme au sud.
Une demande de produit qui reste inférieure à l’offre
Certes le commerce équitable reste une goutte d’eau dans les 6000 milliards de dollars que constitue le commerce international (chiffres 2000). Les estimations sont de l’ordre de 0,01%. Selon Alter Eco, les ventes au détail de produits alimentaires issus du commerce équitable représentent un chiffre d’affaires d’environ 19 millions d’euros en 2002.
Pourtant, on estime aujourd’hui que la demande, en forte croissance, n’est pas encore satisfaite par une offre insuffisante. Et dans certains pays la proportion de produits « équitables » est très au dessus de la moyenne. En suisse, par exemple, une banane sur trois vendue est issue du commerce équitable.
Selon T. Leconte, fondateur d’Alter Eco et auteur du Pari du commerce équitable, aux éditions d’Organisation (2003), le commerce équitable fait vivre 5 millions de personnes dans le monde (en comptant les familles pour environ 800 000 travailleurs répartis dans 500 groupements de producteurs).
Des prix contenus pour une qualité en hausse
De nombreux produits « équitable » sont vendus à un prix proche des produits de grande consommation. Par quel miracle ? Les grandes entreprises dépensent de 6 à 10% en publicité. Affranchies de ce coût les filières commerce équitable peuvent rémunérer davantage leurs producteurs tout en offrant le même prix à leur client qu’une marque classique.
Mais alors comment se développent les ventes ? Par bouche à oreille. Et puis comme l’offre ne suit pas la courbe de la demande, le développement n’est pas une priorité, ce qui compte c’est de sensibiliser le public.
Mais ce n’est pas tout. La qualité des produits « équitable » serait au moins aussi bonne que celle des produits de grande marque. Pour T. Leconte, il faut être clair : distribuer des produits issus du commerce équitable ne peut se faire qu’en vendant des produits de qualité. Un consommateur sera motivé par un label mais ne rachètera pas si il est déçu par les qualités sensorielles ou économiques de l’article. Nouveau miracle ? Si les grandes entreprises dépensent tellement dans leur laboratoires et la recherche de nouveaux procédés de production comment des petits producteurs organisés dans une filière sans grand moyen peut faire aussi bien ? Si vous avez étudié Maslow, vous allez comprendre : si un producteur satisfait ses besoins psychologiques de survie et de confort minimum, sa production n’en sera que meilleure !
On le voit le commerce équitable semble être un cercle vertueux… Mais alors comment des distributeurs pourraient en profiter ?
Le commerce équitable, un avantage pour les entreprises de distribution ?
Comme nous avons déjà eu l’occasion de le dire, agir de façon socialement responsable constitue davantage qu’un acte militant. Comme nous allons le voir, avec l’exemple de Monoprix, faire du commerce équitable peut constituer un avantage concurrentiel fort.
Si les journaux ne cessent de nous rabattre régulièrement les oreilles de marges arrières, de marges brutes assaisonnés à la loi Galland, dans certains cas la marge n’est pas le seul critère de choix pour un produits notamment lorsque celui-ci contribuent au renforcement de l’image de marque. Distribuer des produits « équitables » répond à deux stratégies possibles :
· Répondre de façon opportuniste à une demande, à condition que celle-ci n’entre pas en concurrence avec des objectifs supérieurs que pourraient être la réduction des références dans tels rayons, par exemple
· Etre le socle d’une stratégie réfléchie et intégrée où ils entreront en synergie avec d’autres approches
Il existe deux tactiques possibles :
· Adapter les cahiers des charges de ses produits pour inclure des critères sociaux et environnementaux. C’est la stratégie suivie par Carrefour avec son label ‘filière qualité Carrefour ». Ce choix se justifie lorsque la taille et la position concurrentielle de l’entreprise permet d’imposer une norme reconnue.
· Adosser ses marques propres à des labels officiels. C’est la stratégie la plus fréquemment choisie (cf. Monoprix, dont l’exemple est détaillé ci-dessous). Dans le cas du commerce équitable cela revient à déléguer la conception et l’organisation de la filière à des partenaires tels que Max Havelaar.
L’exemple de Monoprix
Monoprix est une enseigne particulière : ses magasins sont majoritairement situés en centre ville et s’adresse à une population d’urbain. Pourtant, la rénovation des magasins et le concept de city marché n’aurait certainement pas suffit à donner une impulsion décisive sans une stratégie d’ensemble. Monoprix a donc choisi de s’investir dans le développement durable en participant activement à la revitalisation des centres-villes et en s’affichant comme un acteur responsable. Les magasins participent aux agendas 21 lorsque les communes s’en sont dotées et affiche une stratégie commerciale de bien être, de confort et de produit de qualités tout en la conciliant avec un engagement environnemental. Ainsi l’enseigne est là première à proposer des sacs transparents et donc sans pigment. Ce geste, sujet à débats de la part des clients, a été compris comme un désir militant et pédagogique.
C’est donc assez naturellement que l’entreprise a choisi d’avoir recours à des produits labellisés dans la mouvance du développement durable. En 1990 Monoprix est la première enseigne généraliste à proposer des fruits et légumes biologiques et elle introduit ses produits « Monoprix Vert » qui ont depuis remporté un franc succès auprès de ses clients. En 1994, l’enseigne lance sa marque « Monoprix Bio ». Enfin, dès 1998, Monoprix propose un café Max Havelaar. En 2002, Monoprix disposait d’une gamme de 157 produits « Monoprix Bio », 44 produits « Monoprix Vert » et 17 produits issus du commerce équitable. Monoprix a un part de marché de 9% sur le commerce équitable en France.
L’enseigne a aujourd’hui gagné un double pari :
· Gagner des parts de marché
· Etre perçu, par ses clients et par les collectivités locales, comme un acteur pionnier en matière de développement durable
Un puissant inducteur pour l’amont de la distribution
Ce qui nous intéresse aussi c’est que les stratégies des entreprises peuvent avoir des effets d’entraînement ou de ruissellement, potentiellement importants, sur leurs fournisseurs. Au final cela pourrait contribuer à faire émerger puis à renfoncer un tissu de PME dont les caractéristiques seront :
· A court terme de proposer des produits « durables » ou socialement responsables
· A plus long terme de chercher à adapter leur gouvernance d’entreprise et leurs pratiques de façon à être socialement responsable
Bibliographie
Organiser le développement durable : Expériences des entreprises pionnières et formation de règles d'action collective de Franck Aggeri et alii (éditions Vuibert, 2005)
Le pari du commerce équitable de Thierry Leconte (éditions d’Organisation, 2003)
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