Dans son discours d’ouverture des Assises nationales du Développement Durable (tenu à Toulouse le 11 mars 2002), Yves Cochet (Vert), alors Ministre de l’aménagement du territoire et de l’environnement dresse un bilan de l’action gouvernementale et de ses ambitions. 10 ans après Rio… Quelques semaines avant Johannesburg et « la maison brûle » de Chirac.
Extraits :
« Ces Assises Nationales du développement durable vont nous permettre de faire le point, à quelques mois du sommet mondial qui se tiendra en Afrique à Johannesburg, sur la façon dont en France mais aussi dans les pays européens nous avons mis en œuvre les engagements de RIO. [….] Je voudrais brosser un rapide bilan de ce que me semblent être les acquis de RIO et esquisser le chemin qu’il reste à parcourir.
S’il est une réussite de RIO, c’est d’avoir donné droit de cité à la notion de développement durable. Je me souviens il y a dix ans, ceux qui parlaient de développement durable n’étaient pas pris au sérieux. Pourtant le rapport Bruntland avait donné corps à ce concept dès 1987, mais il ne faisait pas partie ni de l'action ni de la pensée politiques et pour beaucoup, il relevait de l’utopie, une utopie défendue par quelques écologistes supposés méconnaître les impératifs économiques et sous-estimer les vertus de la croissance ! Aujourd’hui, le développement durable est au coeur du débat public. Personne ne conteste plus la réalité de l’effet de serre – pas même le Président Bush. Personne ne conteste plus la part croissante de l’incertitude dans l’évaluation scientifique, des biais de l’expertise et par là même du socle mouvant sur lequel se fonde la décision publique.
Les diverses formes de contestation de la globalisation, comme le forum social de Porto-Alegre, alertent sur le fait que cette nouvelle notion de la responsabilité humaine et politique concerne la planète entière.
Aujourd’hui le développement durable est inscrit dans le traité de l’Union européenne - c’est un apport du traité d’Amsterdam-. Nous avons une stratégie européenne du développement durable depuis le conseil européen de Göteborg de juin 2001, avec une forte ambition d’intégration des préoccupations environnementales dans les politiques sectorielles.
Je faisais état, lors du bilan de mes actions ministérielles d'un sondage indiquant la semaine passée que 83% des Français se sentent « concernés » et inquiets pour l’environnement. Etant profondément démocrate, je suis pour ma part convaincu que l’opinion publique est souvent en avance sur les décideurs.
C’est donc à travers les débats sur le développement durable que s’exprime la recherche de nouvelles régulations face au mouvement de mondialisation. Le déséquilibre est patent entre la fascination pour le marché d'un côté et les critères de justice et de solidarité sociale, de gestion raisonnée des ressources naturelles et de l’environnement, des préférences collectives en matière de santé et d’éducation d'autre part. Il faut une discrimination positive en faveur de l'environnement pour aboutir à une politique de développement durable. La place des acteurs non institutionnels, le rôle des collectivités locales, le besoin de règles encadrant l’intégration des économies et des sociétés s’affirment de façon croissante et ces sujets devront être au cœur du débat à Johannesburg.
Cette nouvelle manière de faire de la politique qu’implique le développement durable passe par une démocratie participative, et par la responsabilisation de tous les acteurs, à tous les niveaux, et en particulier, comme cela avait été défini à Rio, les collectivités locales. C’était inscrit dans le chapitre 28 de l’Agenda 21. C’est la raison même de ces Assises qui sont donc avant tout celles des collectivités territoriales.
[…].
L’enjeu de Johannesburg est crucial, pour la France
J’insiste pour ma part aussi sur le fait que le développement durable envisage la personne humaine dans sa globalité. En ce sens, le souci de l’éducation, de la formation tout au long de la vie, de la diversité de la création culturelle et de la liberté de son expression, en sont des aspects importants.
Il s’agit là d’une conception globale et exigeante du développement durable
C’est bien dans l’articulation rééquilibrée des trois piliers, social , economique et environnemental que réside le ferment de transformation inhérent au concept de développement durable.
Cette articulation doit se faire en amont de toute politique publique et à chaque étape de sa mise en œuvre.
Le pilier environnemental est sans nul doute le plus fragile. Il faut que la décennie qui s’ouvre soit celle du passage des ambitions, en tout cas des ambitions affichées, à l’action, à la traduction concrète dans nos politiques. Il y a urgence à agir. Au delà des discours, les faits sont têtus et alarmants. Quelques exemples : moins de 1% de l’eau sur terre est propre à la consommation. D’ici 20 ans, le quart des espèces animales est menacé de disparition. L’emploi des pesticides dans le monde est à l’origine de 3,5 à 5 millions d’intoxication graves par an. Environ 20% des terres arides fragiles de la planète sont touchées par une dégradation des sols qui résulte de l’action humaine, ce qui menace l’existence de plus d’un milliard d’individus comme le stipule la Convention
Pour agir, à tous les niveaux de gouvernance requis, il nous faut sortir de l’idéologie de la croissance du PIB comme seul objectif des politiques de développement, trouver de nouveaux indicateurs, ou de nouveaux équilibres entre les indicateurs.
J’ai quelques inquiétudes car le contexte international n’est pas favorable : le programme d’action de George Bush pour le changement climatique est inacceptable, la conférence sur la gouvernance environnementale internationale qui s’est tenue en février à Carthagène a été décevante. Nous savons qu’il n’y aura pas de développement durable sans un meilleur financement du développement. Il faut donc une forte politique d’aide au développement, il faut aussi de nouveaux modes de financement du développement. […]
Le premier défi à relever du sommet de Johannesburg est donc celui de la solidarité entre le Nord et le Sud. La mise en œuvre de l’agenda 21 a
Le sommet mondial doit également permettre de progresser sur la question de la gouvernance . Le mouvement de globalisation des marchés aboutit, si nous ne faisons pas très rapidement des efforts pour le corriger, à un développement qui ne peut être durable.
La libéralisation des investissements et la mondialisation incontrôlée ne sont pas les solutions miracles pour le développement. Il faut éliminer les obstacles qui privent les pays en développement d’un traitement équitable au sein du système économique et commercial international
Il faut un rééquilibrage des normes internationales, par la création d’un organe de règlements des conflits entre les différentes instances
Kyoto a été un pas important dans le sens d’un rééquilibrage, car pour la première fois, il prévoit, dans le domaine environnemental, un mécanisme d’observance.
J’ai d’autant plus de plaisir à me féliciter de la ratification, décidée le 4 mars à Bruxelles, lors du Conseil des Ministres européens de l’environnement, du Protocole de Kyoto. Avec mon ami Olivier Deleuze, nous nous sommes particulièrement impliqués dans ce succès, obtenu sous présidence belge et, je le crois, grâce à elle, grâce à la conviction et à la ténacité de son équipe. Nous en sommes très fiers. L’Europe en est fière et va maintenant poursuivre son action pour inciter les autres pays à ratifier Kyoto.
Avant Johannesburg, nous aurons d’autres échéances importantes : la conférence de La Haye
Le sommet européen de Barcelone, à la fin de cette semaine, est aussi un premier pas vers la prise en compte de la dimension environnementale, en plus de la dimension économique et sociale de l’Europe, par les Sommets européens de printemps. C’est la première fois que sera examinée la mise en œuvre de la stratégie de développement durable définie à Göteborg en juin dernier, et cela sera fait désormais à chaque sommet de printemps. Il faut bien reconnaître que Barcelone ne prendra pas encore pleinement la mesure de l’acquis, encore tout proche de Göteborg. Mais je garde bon espoir pour le prochain sommet de printemps en 2003.
Ces avancées montrent que la prise en compte du développement durable avance pas à pas, au niveau international et européen, de manière inégale.
Qu’en est-il, en France, du point de vue national et de nos collectivités locales ? Comment renforcer notre démarche en faveur du développement durable ?
Il faut donner une incarnation institutionnelle au développement durable, en France, selon des modalités à définir.
C’est la raison pour laquelle je me suis exprimé sur la nécessité de renforcer les moyens donnés à la politique de l’environnement, en France par exemple en créant un Ministère du développement durable !
Nous réfléchissons, par exemple, aux moyens de valoriser les travaux de la Commission Française
Nous avons également besoin d’une meilleure synergie avec les démarches innovantes des collectivités locales, et je pense qu’il serait judicieux de créer une instance spécifique chargée d’aider les collectivités territoriales dans leur démarche en faveur des agendas 21.
Il faut enfin encourager une évaluation permanente des politiques publiques, en amont, en aval, mais aussi à toutes les étapes de leur mise en place, à l’aune du développement durable.
Mais cette évaluation doit également être participative, citoyenne. […]
Vous le voyez, ces chantiers sont immenses et passionnants, et n’engagent pas que des problématiques strictement liées à l’environnement.
[…] »
Les passages soulignés sont soulignés par Yves Cochet lui-même.
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