Existe-t-il une entreprise idéale ? Quelle en serait la définition ? Comment mesure-t-on cette « idéalité » ? Vous êtes nombreux à nous poser ces questions... Dans cet article, nous n'apporterons malheureusement aucune réponse définitive, nous éclairerons un chemin encore long à parcourir.
Autre série de questions à laquelle vous nous confrontez : quels sont les facteurs bloquants, quels sont les freins ? Dit autrement, les défis humanistes et environnementaux que contiennent les notions de développement durable et de responsabilité sociale d'entreprise (RSE) ou des textes fondateurs comme l’Agenda 21, les déclarations de l'ONU et de l'union européenne (lire l'article consacré aux nouvelles prescriptions ) sont largement partagés. Pourtant, chacun est à même de constater que le « système » ne bouge pas à la hauteur des attentes générées. Que faudrait-il pour qu’il bouge vraiment ?
6L'entreprise idéale serait une entreprise qui, d'une manière ou d'une autre, parviendrait à concilier les attentes de toutes les parties prenantes. Elle offrirait :
- de la performance pour ses propriétaires et ses clients,
- du plaisir au travail pour ses salariés et une possibilité de mobilisation croisée des attentes et des compétences de chacun
- une juste rémunération pour ses propriétaires et ses salariés
- une utilité pour la société
Cette définition, peut-être utopique, nous place face à l'immensité du chantier et à nos responsabilités. Certains la verront même comme hautement anxiogène.
Albert Einstein disait déjà : « ce qui caractérise notre époque c'est la perfection des moyens et la confusion des fins ». L'humanité, par ses sciences, par ses techniques, ses institutions, est arrivée à un tel niveau de développement qu'on a du mal à comprendre pourquoi la société mondialisée est en butte sur une recherche universelle d'harmonie et de bien-être.
La première difficulté est celle du manque de référentiels combiné à la force des habitudes. Ouvrons nos revues, et nous verrons le nombre de palmarès existants permettant de mesurer l'efficacité des entreprises où le leadership de leurs dirigeants. Quelques exemples :
- le top 100 du magazine L’Entreprise, avec comme conditions de participation un chiffre d'affaires de plus de 5 millions d'euros, une croissance depuis trois ans d'au moins 25 % et une rentabilité d'au moins 5 %. Le classement se fait essentiellement sur le seul critère de la rentabilité.
- Le Grand prix de l'entrepreneur organisé par L’Entreprise sous le patronage technique de Ernst & Young : malgré une sélection basée sur des entretiens menés par des collaborateurs de Ernst & Young et sur une succession de jury régionaux puis nationaux, les critères principaux sont ceux de la croissance et de la rentabilité.
- Le palmarès des patrons français du magazine Challenges, là aussi assisté à un grand cabinet (A.T. Kearney) : les indicateurs étudiés avec un recul de 10 ans sont principalement la croissance issue d'affaires et la rentabilité (boursière et économique).
Nous pourrions continuer la liste encore longtemps... Parallèlement se développent de nouveaux indices, centrés sur les hommes.
- Le « 100 Best Companies to work for in America » publié par le magazine Fortune qui soumet à un échantillon de 250 salariés un questionnaire de 50 items organisé autour de cinq critères : la crédibilité (honnêteté et compétences des dirigeants), le respect (reconnaissance de la valeur et la contribution personnelle et professionnelle), l'objectivité (partage équitable des opportunités et des récompenses), la fierté (valeurs attachées au travail et à l'implication d'un salarié), la camaraderie (amitié et communauté).
- Le baromètre de la performance ressources humaines du cabinet EOS Conseils, en association avec le Figaro, mesurant les pratiques R. H. et la fidélisation.
- L'indice du capital humain du cabinet américain Watson Wyatt
- …
Aucun indicateur, aucun baromètre ni aucun référentiel ne permettent aujourd'hui de mesurer la performance globale de l'entreprise et donc son « Idéalité ». Et c'est bien là, le drame de bien des chefs d'entreprise.
Il existe de nombreux outils permettant une mesure (citons les modèles du CJD et du CJDES, les notations sociales, les normes de type ISO, SD 21000, OHSAS, SA 8000 ou AA 1000) mais aucun ne fait l'unanimité. Les critiques sont principalement les suivantes :
- La plupart du temps, les informations fournies par les entreprises ne sont pas vérifiées ; elles font seulement l'objet d'une déclaration.
- Le nombre d'indicateurs et de thèmes traités est soit : trop vaste, ce qui pose des problèmes de mise en œuvre, ou trop restreint, ce qui ne permet pas d'avoir une vision « globale ».
- Ils mélangent fins et moyens, axant le plus souvent l'évaluation sur les moyens mis en oeuvre.
Peut-être au risque d'être abusivement simplistes, nous pourrions regrouper les entreprises que nous rencontrons dans trois catégories différentes :
- les grands entreprises, préoccupées par cette question de la mesure et de l'action face à une exposition publique toujours croissante et aux attentes de ses parties prenantes. Ces grandes entreprises sont, a minima, dotées d'un monsieur « développement durable » et publient un rapport de développement durable. Cette réalité est parfois enrichie par une équipe spécialisée, destinée à apporter des éléments déclaratifs lors de notations et à faire progresser les préoccupations éthiques, environnementales, sociales ou sociétales au sein de l'entreprise et vis-à-vis de l'extérieur. Cela dit, la difficulté qu'il y a à mesurer les progrès et à proposer des actions qui soient mobilisantes et investies par le corps social reste évidente. Dès lors qu'il s'agit de sortir des grands discours politiques, la plupart de nos interlocuteurs s’avouent dubitatifs quand ils ne sont pas inquiets. Pratiquement aucune entreprise du CAC 40 ou grande entreprise publique n'échappe à ce constat.
- Parmi les entreprises, nouvellement cotées et à forte croissance, un tout petit nombre satisfait aux obligations de la loi NRE en fournissant les informations suffisantes. Nous nous sommes aperçus que les directeurs généraux et les DRH de la plupart des entreprises cotées de moins de 5000 salariés sont trop accaparés par des réalités culturelles et économiques et des contraintes pratiques liées à leur croissance rapide.
- Enfin, beaucoup de DRH d'entreprises à capital familial nous informent que leur direction n'est pas suffisamment sensible au principe d'un management « durable » ou socialement responsable.
On le voit les obstacles sont nombreux entre luttes politiques internes (il n'est pas rare que le directeur de l'environnement, le DRH ou le directeur financier se déchirent pour savoir qui doit prendre en charge le développement durable chacun estimant être très ou trop concerné), limites culturelles, contraintes pratiques, paralysie par interrogation au constat d'une trop grande complexité...
Le système évolue-t-il ? Sans aucun doute mais notre impression est que le mouvement est très, voire trop, marginal face au poids des habitudes. Qu'est-ce qui bloque ? Lorsque nous racontons l'une ou l'autre des expériences, réellement enthousiasmantes, décrites dans le livre dont nous avons déjà parlé, 80 hommes pour changer le monde (Lire l'article), il faut bien reconnaître les limites de ses récits. Ils concernent systématiquement des entrepreneurs indépendants, qui se soustraient, volontairement, à la pression excessive des attentes des actionnaires. Ces entrepreneurs ne recherchent pas des taux de rentabilité de 10, 15 ou 20 %, ils recherchent un équilibre entre le court terme et le moyen terme, entre la profitabilité et les exigences environnementales et sociales (cf. l’exemple de Patagonia lire l'article).
L'environnement ? Malgré le fait que la communauté scientifique ne conteste plus guère des éléments autrefois source de débats tels que le réchauffement climatique, la nocivité des OGM ou encore la toxicité du lait maternel (cf. la publicité de la fondation Nicolas Hulot qui défraya la chronique en 2003), force est de constater que le monde bouge lentement. Si Arnold Schwarzenegger, gouverneur de Californie, a décidé que 20 % de l'énergie électrique produite devraient être fournis, en 2010, par du renouvelable, le gouvernement fédéral est loin du compte, en refusant les exigences du protocole de Kyoto. Comment expliquer qu'alors que nous devrions diviser par quatre nos émissions de CO2 afin de rétablir l'équilibre nos objectifs les plus ambitieux soient de réduire de 5 % les émissions par rapport au niveau de 1990.
L’Homme ? Le constat que nous faisons chaque jour est plus désespérant encore ! Je parlais avec une responsable du coaching d’une très grande entreprise hier. Elle me disait : « par moment j’ai l’impression de servir d’alibi. Mon entreprise a bien des valeurs humaines mais s’intéresse-t-on vraiment à l’homme ? Finalement en tant que coach j’entretiens le système au lieu de le changer. Je donne juste bonne conscience… ». Quels sont les patrons qui aujourd’hui on comprit qu’on mobilise au lieu de chercher à motiver ? Chaque collaborateur est naturellement motivé c’est en donnant du plaisir, en apportant du sens, en étant exemplaire, en étant bienveillant, qu’on développe le potentiel de chacun...
« Il faut sauver les condors. Pas tellement parce que nous avons besoin des condors, mais parce nous avons besoin de développer les qualités humaines nécessaires pour les sauver. Car ce sont celles-là mêmes dont nous avons besoin pour nous sauver nous-mêmes. »
Mac Millan, ornithologue américain du XIXe siècle
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