Les conflits générationnels ont toujours existé et l'on entend souvent dire que la jeune génération est à la fois naïve et cynique. Naïve car elle manifeste un désir d’idéal et cynique par son regard désabusé sur la vie et sur son avenir et par sa méfiance voire sa défiance.
Nous avons cependant l'impression que c'est bien toute la population qui est frappée par cette tendance à la défiance et cette envie de réenchantement. Tous les compartiments de la société sont affectés : le politique bien sûr avec, en point d'orgue, l’affaire Clearstream et l'opposition frontale entre les deux principaux partis. Le monde de l'entreprise aussi avec les débats sur les salaires des grands patrons ou sur les délocalisations (notamment lorsqu'elles font suite à des subventions des collectivités). La consommation enfin avec une méfiance de plus en plus importante vis-à-vis des promesses clients (l'industrie des cosmétiques est particulièrement visée ces dernières semaines) et une prise de conscience que les marques jouent sur des ressorts négatifs (anxiété, besoin de sécurisation…).
Paradoxalement les observateurs constatent un désir d'engagement politique ou une consommation qui demeure soutenue. Ainsi les marques de luxe et les produits bio conquièrent toujours plus les paniers du Français moyen et on constate une obsession réelle des jeunes pour les marques et les produits technologiques.
La consommation serait donc moins affectée ou affectable… Voyons quelles sont les tendances imaginées par les spécialistes...
Quels sont les comportements désormais bien ancrés chez nos contemporains :
- de nouvelles possibilités d'arbitrage pour le consommateur ce qui conduit à des phénomènes de défidélisation. Désormais les entreprises se sont mises à l'heure de la transparence (campagne de pub d'Alice ou le nouveau site des magasins E. Leclerc sur les prix) et les consommateurs sont donc libres de faire leur choix dans un contexte de concurrence par les prix.
- Une érosion des comportements de classes. Les analyses montrent que les Français les moins favorisés, tout en continuant à se fournir là où ils ont leurs habitudes et surtout les moyens, poussent désormais les portes des magasins de luxe. À l'inverse, les plus aisés n'hésitent plus à acheter discount ou low cost.
- Une individualisation des goûts après des années de consommation de masse puis de customisation. L'industrie se révolutionne pour produire du sur mesure de masse.
Trois générations de Français composent une mosaïque de valeurs avec lesquelles les marques doivent composer :
- pour la génération de l'après-guerre et des 30 glorieuses, c'est la réussite matérielle qui est valorisée. Les valeurs à l'oeuvre sont la performance, le statut, le progrès, la responsabilité et l'individu au sens du « je » est central. Ce modèle est encore largement dominant dans la mesure où nos gouvernants et nos patrons sont le plus souvent de cette génération.
- Pour la génération post soixante-huitarde, la conception de l'individu a évolué. Ce n'est plus « je » mais c'est « moi » dont il est question. L'expression personnelle est donc valorisée en s'articulant autour de valeurs telles que l'émotion, la créativité, l'abstraction par rapport à la communauté mais aussi la transgression.
- Pour la dernière génération, il y a une recherche de « ré-alliance » (le moi-nous) qui se décline par une recherche de sens, une volonté de réenchantement et un désir latent d'interdépendance (avec l'autre ou avec la nature, par exemple). Les valeurs de cette génération sont la conscience, la responsabilité, la célébration, l'ouverture, l'expérimentation et surtout la lucidité.
Les entreprises se sont donc adaptées en manifestant désormais :
- plus de transparence et plus d’éthique (courant moral)
- une volonté de réconciliation (courant hédoniste) qui se traduit par des messages de dédramatisation dans lesquels l'humour, l'amour et le divertissement sont très présents. L'objectif est désormais de créer plus de connivence avec le consommateur.
Deux experts nous ont proposé leur vision des tendances.
Patrick Dixon, un anglais, a repéré six grandes tendances :
- Fast. Cette tendance se traduit par des réactions émotionnelles fortes (grippe aviaire). La confiance se crée lentement alors que les temps se raccourcissent et que l'avenir dépend de l'émotion. Le désir est créé par un mélange de design, de passion et d'innovation. C'est l'exemple de l'iPod qui de plus est un produit divergent qui recherche la simplicité, l'esthétique et l'émotion. On rompt ainsi avec des logiques de sophistication intense des produits.
- Urban. Dans sa tendance on retrouve un mix des grandes évolutions de nos sociétés occidentales : la fracture sociale, les problèmes de santé (tels que l'obésité qui coûte 100 milliards d'euros par an aux Etats-Unis), le rôle de la femme, le vieillissement (avec d'un côté un report des entreprises et du marketing vers une cible plus âgée et de l'autre le désormais traditionnel « think young » mais qui cherche à s'adapter),…
- Tribal. Les marques fortes construisent des tribus solides. On connaît évidemment l'exemple d'Apple mais saviez-vous que McDonald's se focalise aux États-Unis sur la communauté afro américaine. Désormais tout doit permettre la rencontre. Et notamment lors du shopping avec une intégration de lieu de rencontre (le café dans les Virgin ou les FNAC et demain l'épicerie dans votre banque). Les marques se recentrent sur une ou deux tribus et fidélise en créant un sentiment d'appartenance notamment au travers du marketing direct et du marketing viral.
- Universal. A contrario de la tendance précédente, les grandes chaînes connaissent une forte croissance et peu de secteurs échappent à la concentration. Seules les marques de luxe échappent à une concurrence forcenée par les prix. Mais les futurologues parient sur le fait que le prix va perdre de son importance et que les entreprises vont se recentrer sur les segments supérieurs. Le consommateur cherche la meilleure qualité, le meilleur service et la plus forte personnalisation. La distribution s’adapte. Quelques exemple : l’intense croissance de la vente en ligne ( qui croît de 20 à 25 % par an) et des points de vente qui permettent le « touch and feel », le « take it back » ou encore le « service expert ».
- Radical. À l'avenir, les experts estiment que les divisions politiques radicales entre gauche et droite sont mortes. Désormais le consommateur citoyen s'intéresse à des approches thématiques. L'une des plus forte est évidemment la recherche du bien commun et la préservation de l'environnement avec les premiers produits ou services certifiés « carbon neutral » par exemple. 86 % des consommateurs font confiance à des entreprises qui aident leur communauté.
- Ethical. Les tickets et le socle de la confiance. La confiance se construit sur la passion. Vendeur, si vous ne croyez pas à votre produit ne le vendez pas. Le client sait désormais détecter la vérité et recherche transparence, honnêteté et émotion partagée. Les entreprises parlent de croissance et de profit, mais les individus parle de besoin, de leurs amis, de leur passion, du monde avec lequel ils vivent. Le mot d'ordre est donc « making life better ».
Michael Tchong, expert américain nous propose une analyse par maxi tendance (les « ubertrends »). Il en dénombre huit :
- l'accélération de la vie ou la compression du temps.
C'est le tout, tout de suite. Cette tendance a commencé en 1956 avec la commercialisation du four à micro-ondes. Elle se poursuit avec le « fast fashion » façon Zara ou H&M. Ces entreprises mettent en magasins 12 ou 24 collections (ou refresh) par an. Il faut seulement trois semaines à H&M pour achever une mise en boutique, soit 20 jours entre le design d'un nouveau vêtement et sa distribution. Si la vie va plus vite le consommateur a besoin d'énergie : on prévoit que la chaîne de cafés Starbucks (11000 cafés dans le monde) va dépasser rapidement McDonald's (30000 restaurants). Et puis le consommateur désire devenir multitâche (conduire tout en téléphonant et en regardant le journal télévisé). Il attend également la récompense immédiate.
- La digitalisation ( ou numérisation) du monde
Trois millions de Français disposent déjà d'un blog soit 5 % de la population française. Pour une fois la France 1995. L
- Un monde sans fil (unwirred ou « unkooked » generation).
Demain nos téléphones portables vont nous permettre de payer mais aussi de nous identifier (les mobiles vont se doter de systèmes de lecture de l'empreinte digitale). Les jeux sur portable se développent et représentent déjà un milliard d'euros sur les 30 milliards de l'industrie du jeu. Et déjà 30 millions d'Américains regardent la télé sur leur téléphone. À la maison l’heure est également au sans fil avec des appareils interagissant entre eux sans aucun fil (Beolink de B&O).
- le « placeshifting » (littéralement le changement ou le basculement d'endroit).
C'est la conséquence de la tendance précédente. Désormais le consommateur veut tout faire où qu'il soit et d'où qu'il soit, il veut du sur mesure. Le consommateur est gâté quand il n'est pas gavé. La mobilité est devenue un mode de vie
- Le célibat.
En 1985, 36 % des japonaises étaient célibataires, aujourd'hui c'est 54 %. Le nombre de foyers unicellulaires en France a progressé de 50 % depuis 1970. Par conséquent, les consommateurs sont en recherche de moyens pour être reliés les uns aux autres ou se découvrir. Les messageries instantanées se sont largement développées. À Hong Kong, les portables proposent la possibilité d'avoir une petite amie virtuelle et certaines marques travaillent sur des baladeurs capables d'envoyer des « emosound » aux baladeurs de personnes qui écoutent des musiques qui vous plaisent ou vous déplaisent.
- Le voyeurgasm.
La tendance est visible dans les médias où on a pu revoir en boucle les images du 11 septembre ou encore de l'accident du Concorde. Les adolescents se livrent à des prises de vue sur portable, malheureusement le plus souvent assez sordides. Les stars nous obsèdent et nous regardons Loft Story (dont le logo était un oeil). Si les messageries instantanées ont du succès le recours à la webcam se généralise. Dans nos poches, se blottissent des téléphones capables de faire de la visiophonie ou d'émettre tels des talkies-walkies. Le corps devient un support de communication au travers du tatouage ou du piercing.
- La génération x-tasy (ou de l'expérience).
Désormais le consommateur veut expérimenter et prendre plaisir à découvrir. Le plaisir se fait souvent dans l'excès et exige sa part d’indulgence. La pub a fait du porno chic une vraie tendance mais va bien plus loin dans l'expérimentation avec par exemple des moutons vivants publicitaires (c'est le « sheepvertising »). Planet Hollywood développe de nouveaux concepts d'immeubles appelés « experimental living »…
- La fontaine de jouvence
dans sa tendance, on retrouve évidemment le développement de l'industrie cosmétique et de la chirurgie plastique. Nombre de pères américains récompensent leurs filles de leurs bons résultats scolaires en leur offrant une rhinoplastie ou un développement de la poitrine. C'est l'ère du « antiâge » dans lequel on ne travaille plus la mémoire puisque la technologie pharmaceutique apporte la réponse.
Au final, l'avenir est plein de défis…
Cet article est issu d’un travail croisé entre nos observations, nos lectures et les conférences organisées par expressions de tendance (www.expressionsdetendance.com).
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