Depuis plusieurs décennies, les préoccupations environnementales et humaines sont de plus en plus au coeur des débats. En 1992, il y a eu le sommet de la Terre
C'est une question que nous nous posons et nos travaux nous permettront bientôt de vous proposer des bilans sur un certain nombre de sujets. En attendant, nous voulons reprendre ici les propos d’Hubert Reeves, chercheur aux multiples compétences, auteur prolixe, fédérateur et incontesté, responsable associatif (et non des moindres avec la ligue ROC pour la préservation de la faune sauvage et la défense des non chasseurs, www.roc.asso.fr) et, enfin, personnalité attachante, plébiscitée par le public.
En 2003, il a publié la première édition de Mal de Terre, ouvrage clair et bien documenté couvrant tous les sujets d'intérêt en rapport avec le développement durable : la pollution, les énergies, le changement climatique, la nutrition, la condition animale... En 2005 paraît la seconde édition munie d'une postface. Hubert Reeves porte alors un regard sur ce qui s'est passé entre la première et la seconde édition. En voici quelques extraits...
« La première édition de Mal de Terre est parue en avril 2003. Comment la situation a-t-elle évolué depuis ?
Cette postface tente d'esquisser un bilan. Il se dégage du survol de ces 18 mois, que tout évolue très rapidement, beaucoup plus rapidement qu'on aurait pu le prévoir. Le négatif comme le positif.
Dans le lointain passé de l'humanité, rien ne bougeait vite. C'était à l'échelle de millénaires. À la fin du Moyen Age, l'accélération s'est fait sentir, d'abord à l'échelle de siècles puis, après la Seconde Guerre
Certains clignotants -- ceux qui concernent la température, les émissions de gaz carbonique, les pollutions, l'épuisement des ressources naturelles, l'érosion de la biodiversité -- passent progressivement du rouge au rouge vif. Simultanément les actions des Terriens prennent de l'ampleur. Inimaginable il y a une trentaine d'années, la prise de conscience de la qualité de la situation se généralise. Les conférences internationales ont lieu. Des protestations s'élèvent, et, plus constructive, la volonté de protection dynamise le monde associatif et influence le monde politique. De nouvelles législations sont votées. Les initiatives se multiplient. Le recyclage des déchets progresse.
Les saccageurs de la planète marquent des points. Ses défenseurs aussi.
Pour garder le moral, annonçons d'abord une bonne nouvelle. Elle concerne la France
Passons en revue les principaux problèmes pour dresser rapidement un premier constat de la situation. Ce sont plutôt des coups de projecteurs que le bilan réel.
La température de la planète
L'augmentation de la température de la planète Terre moyenne depuis le début de l'ère industrielle est évaluée à 0,8°C. En France, elle est de 1°C 1,4°C
- les régions polaires sont particulièrement touchées. L'eau libre succède à la glace.
- la fonte des glaciers s’accélère ; dans les Alpes françaises, le glacier de Sarennes a reculé de 3,10 mètres 70 cm
- la liste des perturbations climatiques majeures s'allonge […]. Les manifestations extrêmes sont de plus en plus fréquentes. […]
Toujours en 2003 la lutte contre la chaleur a engendré un boom de la vente des climatiseurs. Ces appareils rejettent à l'extérieur beaucoup plus de calories qu’ils n'en retirent des voitures et des habitations contribuant ainsi à accroître un changement d'atmosphère.
De nouvelles modélisations de plus en plus fiables prévoient un réchauffement planétaire moyen d'environ 3°C
Le gaz carbonique
C'est la cause principale de l'effet de serre. On constate néanmoins que la quantité de CO2 émise continue à croître ; les années 2002 et 2003 battent tous les records. Les accords de Kyoto seront ratifiés en février 2005. Ils ne visent pourtant à réduire les émissions que de 6 % en 2012. Loin des 60 % nécessaires à la stabilisation des climats.
La consommation moyenne des véhicules individuels (y compris les 4x4) est passée récemment de 10 l 100 km 11 l 100 km
Le transport par camion est en augmentation alors que le ferroutage devrait lui être préféré. Pour les stations données, le billet d'avion coûte souvent moins cher que celui du train alors que l'avion produit beaucoup plus de CO2.
[…]
Épuisement du pétrole
Depuis 2002, les compagnies pétrolières acceptent de reconnaître les limites des réserves de ce produit fossile [la puissance mondiale utilisée aujourd'hui est d'environ 12 térawatts (TW) et on considère qu'elle pourrait atteindre 24 TW au milieu de ce siècle. Les réserves de pétrole accessible sont estimées à 1200 TW. Un rapide calcul nous indique que les stocks seront épuisés d'ici à une cinquantaine d'années. Or le pétrole est également nécessaire à la fabrication de beaucoup de choses dont toutes les matières plastiques. Comment ferons-nous sans elles ?... L’une d’elle admet que le taux de découverte de nouvelles sources diminue depuis plusieurs décennies. Une autre revoit à la baisse ses estimations de réserves existantes. Et l'on prévoit qu'entre 2010 et 2020 la demande dépassera l'offre et que le prix du pétrole grimpera inexorablement. S'ensuivront d’importantes perturbations des économies dans tous les pays, surtout pour ceux qui n'ont mis en place aucune alternative.
La montée des prix en 2004 dans un contexte géopolitique défavorable est à la fois une mauvaise et une bonne nouvelle.
Mauvaise, surtout pour les utilisateurs de voitures tels les taxis et les transporteurs dans les pays pauvres.
Bonne, parce que les autres énergies dont les coûts semblaient trop élevés par rapport à celui du pétrole vont perdre ce handicap. Les biocarburants vont devenir une carte à jouer pour le monde agricole (leur culture devrait être exempte de pesticides leur donnant ainsi une image irréprochable). L'hydrogène peut aussi devenir un carburant d'avenir. Rappelons cependant que l'hydrogène sur la terre n'est pas une source d'énergie primaire mais seulement un vecteur d'énergie [en effet, l'énergie que permet de produire l'usage de l'hydrogène est équivalent à l'énergie qu'il faut pour le fabriquer à partir de l'eau. Si on peut admettre que les réserves d'eau sont quasi inextinguibles sur la terre, il faudra toujours de l'énergie pour fabriquer l’hydrogène |…].
Les énergies renouvelables
Ici les nouvelles sont bonnes. L'installation éolienne progresse rapidement. À l'échelle mondiale les éoliennes fournissent l'équivalent de 40 réacteurs nucléaires (40 GW) : huit fois plus qu'en 1995. L la Navarre
Des difficultés locales et des lenteurs admiratives retardent leur installation en France [rappelons que la France
Les pollutions
La situation empire :
- selon un rapport de l'Unicef (2003), plus de 1,6 millions d'enfants meurent chaque année d'infections liées à l'eau polluée, la seule à laquelle ils ont accès.
- En France, dans de nombreuses régions, l'eau du robinet ne mérite plus l'appellation d'eau potable : elle est déconseillée aux femmes enceintes et aux nourrissons.
Mais aussi quelques bonnes nouvelles :
- la proportion de plomb dans l'air a été divisée par trois depuis l'introduction d'essence « sans plomb » pour les moteurs de voiture.
- L'accord de Stockholm prévoyant la suppression de nombreux produits chimiques dont certains pesticides est entré en vigueur en 2004.
- L'Irlande a diminué de 90 % l'utilisation de sacs plastiques à usage unique. D'autres régions décidaient leur élimination complète.
- Les habitants du Massachusetts ont réduit de 90 % leurs déchets rejetés dans l'environnement.
- Dans une ville japonaise (Fukuoka) toute nouvelle construction doit être dotée d'un système d'eau non potable pour utilisation à des fins domestiques.
L'érosion de la biodiversité
Chapitre noir. La mise en oeuvre de la Convention
À la septième conférence internationale sur la diversité à Kuala Lumpur (Malaisie), en février 2004, la France la Réunion.
Au rang des nouvelles plus encourageantes :
- la Chine
- L'Islande semble vouloir ne plus perpétuer la chasse à la baleine.
- Le loup, réintroduit dans le parc de Yellowstone, aux États-Unis, joue un rôle majeur pour l'enrichissement de la biodiversité.
- Aux États-Unis, on restaure avec succès des marais salants sur la côte atlantique.
- En Afrique, le Rwanda prend des mesures concrètes pour préserver la flore et la faune.
- En France, les Pyrénées fêtent le retour de l'ours qu'ils ne veulent pas voir disparaître. Des communes toujours plus nombreuses veulent agir pour assurer un avenir à la nature sauvage.
- Paris se dote d’une charte de la biodiversité.
- Le Nord-Pas-de-Calais élabore une trame verte régionale pour assurer une continuité d'habitats favorables à la flore et la faune.
- Les associations de défense de la nature et de l'environnement se multiplient rapidement.
La population mondiale
Les taux de natalité continuent à baisser dans le monde, y compris dans les pays les plus pauvres. Les estimations ne dépassent plus guère un plafond de 9 milliards vers le milieu du siècle, suivi d'une baisse générale.
La pauvreté dans le monde
Les efforts des pays pauvres pour vendre leurs produits sur le marché international se heurtent à un obstacle de taille : les subventions des pays riches, à leurs agriculteurs. En 2000 la conférence de l'organisation du commerce mondial (O.N.G.) visant à résoudre ce problème se solde par un échec [cf. également le dernier sommet tenu fin 2005 à Hong Kong]. Pourtant nul ne peut ignorer que le maintien des populations dans un état de pauvreté désespérante est un vivier pour le recrutement de kamikazes par les chefs terroristes.
Une question fondamentale se pose d'une façon de plus en plus pressante : la crise planétaire contemporaine prendra-t-elle fin face à l'action déterminée des terriens ou par leur disparition ? La balle est encore (mais pour combien de temps ?) dans notre camp. »
Retrouvez également Hubert Reeves sur www.hubertreeves.info et sur www.roc.asso.fr
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