L’entreprise ligotée
Jean Marc Vittori
Les Echos des 10, 11 et 12 novembre 2005 (www.lesechos.fr)
Dans cet article publié dans les pages Idées, l’auteur nous décrit nos grandes entreprises comme des géants ligotés qui « bougent difficilement ». « Les parties prenantes exercent dessus une pression de plus en plus forte ». « Cette atonie des grandes entreprises n’est toutefois pas mondiale. En Chine, les géants foncent sans entraves et polluent sans soucis ». L’auteur conclut en nous prédisant « une asphyxie, comme le prédisent les marxistes depuis plus d’un siècle. »
Nous rejoignons l’auteur sur plusieurs points. « Dans un monde qui de plus en plus de mal à trouver ses repères, où les Etats perdent les pédales, l’attention se focalise logiquement sur ces géants par nature très visibles ». L’exigence de la société civile vis-à-vis des entreprises est de plus en plus prégnante. Conjuguée aux progrès des NTIC, les entreprises sont plus vulnérables et « la prise de pouvoir des consommateurs n’est pas un vain mot ».
Pourtant nous sentons poindre, dans l’article, la complainte de « la vierge effarouchée par un dragueur trop entreprenant ». La vierge est ici la grande entreprise occidentale qui doit respecter les bonnes convenances au risque de perdre sa réputation. Le dragueur ce sont les concurrents, forcément chinois, qui, eux, s’affranchissent de tout code moral ; la fin justifiant bien les moyens. L’argument est facile et fait appel au registre de la peur. A cette présentation nous opposons trois arguments. Nous ne sommes pas militants, encore moins alter-mondialistes. Nous ne tiendrons pas le discours trop simpliste de la « vilaine entreprise » qui fait du mal partout autour d’elle. Fort heureusement, la plupart des entrepreneurs et des patrons sont des gens parfaitement responsables et désireux du bien commun. Ce qui est problématique ce sont les circonstances et les règles sacro-saintes du libéralisme (comment donner une rentabilité de 15% dans une économie mondiale où les plus gros pays clients tournent autour de 2 à 3% de croissance ?). Nous sommes interpellés par un début de siècle dans lequel le monde semble marcher sur la tête, et nous ne sommes pas les seuls puisque des gens sérieux s’inquiètent (ces jours sortent trois livres sur les dérives du capitalisme et notamment : Patrick Artus et Marie-Paule Virard, « le capitalisme est en train de s’autodétruire » aux Editions La Découverte. Le premier est l’un des économistes français les plus réputés, la seconde est la rédactrice en chef des Enjeux – les Echos. Jean Peyrelevade a également activé sa plume sur le sujet…). Pendant longtemps la société ne s’est pas préoccupée du développement durable et elle évolue, ce qui est positif. Qu’elle interpelle les grandes entreprises, qui sont devenus des acteurs majeurs en un siècle seulement, rien de moins normal ! COnséquence logique : les Etats légifèrent, à bon droit.
Deuxième argument ? Les pays en voie de développement et leurs entreprises sont forcément irresponsables ? Essayons d’y voir plus clair… On parle de guerre économique et c’est vrai que cela y ressemble. A chacun ses armes : les marques et l’innovation d’un côté, le prix et les actions de déstabilisation de l’autre. Les entreprises chinoises, indiennes, brésiliennes et consorts polluent ou font travailler des enfants pour assurer des prix bas ? Il y a de cela. Est-ce que c’est une posture durable ? Nous n’y croyons pas. Que le sommet de la terre se soit tenu à Rio n’est pas un hasard. Dans ces pays la conscience en matière de protection de l’environnement et des hommes est probablement plus développée que ne l’était celle des pays occidentaux au même stade de développement. La Chine s’investit dans les énergies renouvelables, le Brésil protège du mieux qu’il peut ses forêts et s’active pour alimenter ses ascenseurs sociaux. Nous allons donc assister dans les prochaines décennies à une convergence sur ces questions de normes et de législation. Mais c’est vrai il reste un décalage momentané qu’il faut gérer en France et ailleurs. Doit-on retarder nos efforts en attendant les moins bons en la matière ? La réponse se lit déjà sur vos lèvres…
Reprenons l’argument qui nous paraît le plus fort : oui les entreprises ont des contraintes toujours plus fortes. Est-ce que cela les rend moins compétitives ? Bien sûr que non !La contrainte est une des sources principales de l’innovation. Les entreprises européennes et américaines ont déjà perdu la bataille des prix, c’est entendu. Il reste une autre bataille à gagner : celle de la différenciation et donc de l’innovation. Michael Porter avait déjà imaginé ce qui est en train de se produire. Il n’y a que deux voies : les prix ou la différenciation. Si nos entreprises veulent faire la différence ce n’est pas en les laissant s’endormir sur des lauriers auréolés de leur passé et mâtinés de protectionnisme qu’on les aidera…
Allen pour l’équipe Kyos Conseil
NB 1 : et retrouvez toujours notre blog consacré à la RSE (Responsabilité sociale d'entreprise) : www.kyos-conseil.blogs.com
NB 2 : pour aller plus loin sur les parties prenantes, relisez notre article (thème du mois de novembre http://kyos-conseil.blogs.com/kyos_conseil/2005/11/les_parties_pre.html
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